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Q&A with Matali Crasset

French industrial designer

Matali Crasset

Photo: Philippe Servent, courtesy galerie Thaddaeus Ropac

Je suis designer industriel de formation.

J’entrevois de plus en plus ce métier, à travers les projets que je mène, comme celui d’un accoucheur, d’un maïeuticien. Il s’agit de moins en moins de mettre en forme de la matière – de l’esthétique - mais plutôt de faire émerger, de fédérer, d’organiser, autour d’intentions et des valeurs communes, des liens et des réseaux de compétences, de connivence, de socialité. La majorité des projets sur lesquels je travaille actuellement mettent en évidence cette dimension de travail collectif et collaboratif.

Je pense au récent projet de la Maison des Petits au 104 à Paris, aux maisons sylvestres pour le Vent des forêts à Fresnes au Mont dans la Meuse, à l’école Le blé en herbe à Trebedan en Bretagne avec la Fondation de France, ou la Dar’hi à Nefta en Tunisie . Il y a donc une dimension de plus en plus locale qui m’intéresse beaucoup. On voit bien que la contemporanéité n’est plus l’apanage exclusif du monde urbain.

Bien évidemment, je dessine aussi des objets, mais les objets ne sont ni le centre, ni la finalité du processus de création ; Il en sont une actualisation possible parmi d’autres (une architecture, une scénographie, une exposition…) à un moment déterminé, d’un système de pensée plus vaste.

Matali Crasset, Voyage to Uchronia. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Salzburg

© Matali Crasset, photo: Philippe Servent

What software / hardware helps you design?

Mon principal outil c'est ma tête. Mon travail est avant tout mental, je n'ai pas besoin ni de dessiner, ni de passer par des objets en volume. Ainsi mon travail de création est assez solitaire. Dés qu'un projet est cristallisé je le pose sur le papier sous la forme d'un croquis ou directement grâce aux outils numériques.

Je réfléchis, j'observe

Pour expliquer ma méthode de travail, j’ai souvent expliqué que j’avais des champs dans la tête. Il y a des champs où poussent la même matière longtemps, d’autres qui sont inaccessibles, ou en jachère. Chaque champ représente un centre d’intérêt que je cultive inconsciemment au quotidien. Les projets réalisés les fertilisent tous.

What is your ideal work environment?

J'ai besoin de peu de choses. Une table, une chaise, un carnet à spirales et un feutre à pointe fine. De silence mais paradoxalement aussi de la vie. La musique m'accompagne beaucoup dans mes journées de travail.

Matali Crasset

Where does your work inspiration come from?

L'inspiration principale c'est la vie. Mes projets sont plus sous-tendu par des questions de scenario de vie déclinés en scénario d'usage plus que par des choix formelles.

Cette démarche de proposer des scénarios de vie se décline dans les objets en scénarios d’usage. Le couteau édité par la Forge de Laguiole que j’ai réalisé avec Pierre Hermé en est un exemple. Il nous accompagne pour un moment de partage : il découpe d’abord la part de gâteau puis en le tournant d’un quart de tour, il devient pelle à tarte permettant une gestuelle très fluide. Cet exemple nous montre que nous portons peut être trop d’efforts à hyperspécialiser nos objets et nos structures alors qu’il serait plus adéquat de travailler sur les transitions, sur la fluidité.

La forme et le discours sur la forme détournent des véritables enjeux. Les objets doivent être en prise directe avec la vie et pas seulement dans l’apparence : apparence de mobilité en ajoutant simplement deux roues à une table existante qui n’a de toute façon pas la place de se déployer dans l’espace, apparence de confort en enrobant tout d’une peau mouelleuse pour surtout de rien changer de l’ordre domestique établi…. A ce titre, la maison cocon est dangereuse si elle nous enferme et nous transforme en être égoïste, peu enclins aux échanges avec l’extérieur. Le confort se situe aussi dans le potentiel de pouvoir changer, de pouvoir évoluer, de s’épanouir dans son cadre domestique.

Who are the designers you admire most?

Je pourrai citer Bruno Munari, Nanna Ditzel, Enzo Mari…

Dans la manière de penser je me sens assez proche de Bruno Munari. Son travail est sous-estimé. Il a fait tellement de livres qu’on le définit comme graphiste, trop peu d’objets pour être considéré designer, trop de tout pour être simplement un artiste… et il a trop travaillé avec les enfants pour être pris au sérieux… Le design n’est pas à un chemin unique de pensée. La porosité est une richesse.

Mais certainement la lecture de Bachelard, Barthes, Foucault, Perec, Balzac ou Jane Austeen a été tout aussi essentielle dans mon cheminement personnel.